Et Salamandre hurlait.
Elle hurlait toute sa peine.
Elle lui criait de rester avec elle.
Elle hurlait toute la rage qu'elle avait dans le coeur.
Et elle hurlait pour se débarrasser de ses souvenirs qui ne voulaient pas quitter ses pensées.
Elle hurlait.
Elle hurlait sans résultats.
Puis… plus rien.
Le néant.
0 à 5 lunes ~
«...27, 28, 29, 30 ! J'arrive ! » C'était un matin comme tout autre. Un matin de printemps. Un matin ensoleillé. Un matin pourtant si différent. Car ce matin restera gravé dans les esprits. Car les oiseaux semblaient piailler pour prévenir du danger. Car la forêt semblait trembler de terreur. Car le vent soufflait pour alerter du terrible présage qui se préparait.
Ce matin donnait l'impression d'être tout à fait normal, tout en étant étrangement... Singulier.
Petite Salamandre courre aux côtés de son frère, Petit Cerf. Tout au long de sa course endiablée, elle l’observe à la dérobée. Elle sent ses pattes s’envoler sous l’essaim de liberté qui l’envahi. Elle est resplendissante sous les rayons cuisants qui l’enveloppent agréablement, perçant à travers les feuilles des arbres. Elle reflète tant d’insouciance et de bienséance que même le soleil fait pâle figure à ses côtés. Elle ne peut plus s’arrêter, se laisse emporter par l’élan qui la pousse en avant, et offre au ciel son visage rayonnant.
La nature s’accorde avec sa bonne humeur, et semble partager un peu de son bonheur. Comme elle, elle ne semble pas s’épuiser. Avec elle, elle poursuit sa quête déterminée. Un rire retentit soudain, résonnant de milles joies, éclatant avec force et emplissant tout l’espace. Et elle jette des regards complices à Petit Cerf qui sillonne la forêt non loin d’elle. Ils doivent se cacher, et croiser les pattes pour que le vent ne leur fasse pas faux bond. Jolie Plume, leur mère, ne va pas tarder à arriver dans les parages, et il ne faut pas qu’elle les trouve. C’est le but du jeu après tout.
Les petits chenapans observent leur mère de leur cachette. Ils se regardent, les yeux pétillants de malice. « Je vais vous trouver, attention ! » miaule Jolie Plume, et les deux confidents se contiennent du mieux qu’ils peuvent. Petit Cerf et Petite Salamandre sont très complices. Jamais l’un ne se trouve sans l’autre. Leur relation est devenue de plus en plus fusionnelle de jour en jour. De vraies petites canailles qui attendrissent les plus grands, notamment leur mère. Ils sont également très proches de cette dernière. Surement parce que leur père, un solitaire dont n'a jamais voulue parler Jolie Plume, n’a pas été présent pour eux. Toujours est il que c’est le genre de petite famille qui illumine votre journée. Aucun d’eux ne se doutent que leur vie stable et remplie de bonheur va être bouleversée à tout jamais.
« Je vous sens ! » roucoule leur mère. Mais son visage se décompose soudainement. Elle sent autre chose. Un danger. Un terrible danger. Elle se hâte et ses pas se font plus pressants. « Le soleil se couche, il est tant de rentrer maintenant. Aller, sortez de votre cachette. » souffle-t-elle, inquiète. Mais les deux frangins restent blottis l'un contre l'autre. C'est une ruse, ils en sont persuadés.
Une ombre noiraude très peu accueillant fait alors son apparition. Il s’approche, elle recule.
« - Utopie… Écoute, on peut discuter…
- …
- Utopie, je t’en pris, tout va s’arranger…
- FERME-LA !
»
Elle tente alors de fuir. Mauvaise idée. Très, très mauvaise idée. Le mâle bondit et lui bloque habillement le passage. Il ne perd pas une autre seconde et se jette sur elle. Il mord. Dur, fort. Elle s’éteint. Des perles salées parcourant son visage céleste. Elle s’endort dans un doux murmure. L’ultime souvenir, le dernier soupir.
Petit Cerf sort le premier du buisson d’aubépine sous lequel il se cachait avec sa soeur. Il s’approche lentement du corps inerte de sa mère et fourre son museau dans sa fourrure. Petite Salamandre le rejoint peu de temps après. Elle secoue Jolie Plume, avec candeur.
Maman ?
Maman réveilles-toi…
Tu es fatiguée maman ?
On peut rentrer tu sais…
Maman ?
Maman…
Et au fur et à mesure, la petite comprend. Elle comprend que plus jamais elle n’entendra la voix rassurante de sa mère. Que plus jamais elle ne se réveillera auprès d’elle. Que plus jamais elle ne verra son joli regard illuminé par la joie et le bonheur. Que la vie est finit. Alors elle secoue plus fort, et cri qu’il faut qu’elle se réveille, qu’elle ne doit pas s’endormir dans la forêt, qu’ils doivent rentrer au camp maintenant. Et Petit Cerf lui répète que c’est terminé, qu’il faut prévenir les autres, qu’ils ne peuvent pas rester là. Mais Petite Salamandre hurle. Elle hurle qu’elle est coupable. Elle hurle contre le grand mâle noir. Elle hurle contre Petit Cerf. Elle hurle contre la vie toute entière.
5 à 7 lunes ~
Tu la regardes, la tristesse envahissant son si beau visage. Ses yeux bleus regardant les autres chatons pelotonnés contre le ventre de leur mère. Tu aimerais la réconforter, mais tu ne peux pas, ce n'est qu'un retour en arrière, et tu ne peux plus rien y faire. Donc tu la regardes évoluer, petite boule de poil frêle, aux côtés de son frère. Et tu la vois se prendre des flopées d'insultes de ne pas avoir agit pour tenter de sauver sa mère. Tu vois les apprentis et les chatons la traiter d'incapable et de honte. Tu la vois ne pas bouger, ne pas moufter un seul mot. Et tu les vois, quelques jours plus tard, lui demander où sont ses parents, s'ils sont morts, s'ils l'ont abandonnée. Oh, quand Nuage du Cerf est là, ça ne dur jamais bien longtemps. Mais assez pour la détruire lentement, à petit feu.
Petite Salamandre et Petit Cerf ont à présent cédés leur nom pour Nuage de la Salamandre et Nuage du Cerf. Le clan scande leur nouveau nom, et les deux compères ne sourient pas. C’est un jour qu’ils auraient dû partager avec leur tendre mère.
Nuage du Cerf est toujours présent pour sa sœur. Jamais l’un sans l’autre, comme depuis leur plus tendre enfance. Salamandre apprend vite. Elle désire plus que tout retracer le passé de sa mère. C’est une apprentie prometteuse, avec de l’ambition. Elle se démène pour son clan, elle aide les autres et travail dur pour arriver où elle en est.
Mais elle n’est pas pour autant moins fragile. Elle pleure encore quelques fois. Souvent même. Sur l’épaule de Nuage du Cerf le plus souvent. Elle dort mal, et fait des cauchemars qui la terrorisent. Les autres apprentis se plaignent de l’entendre hurler le nom de sa mère dans son sommeil, si bien que les deux frangins dorment maintenant dehors. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. Des traits de fatigue se creusent sur son doux visage mais elle garde un sourire fiché sur les babines. Toujours la tête haute. Pourtant, personne n’est dupe, le son de sa voix manque cruellement de vie et son regard est vide d’une quelconque joie de vivre. Et doucement, très doucement, alimentée par les insultes et les moqueries, sa carapace se forge.
7 à 9 lunes ~
Nuage du Cerf était étendu sur le sol, prisonnier d’une marre de sang. Il n’avait rien demandé, Nuage du Cerf. Et Nuage de la Salamandre non plus. C’était arrivé, tout simplement. Une arrivée spectaculaire, phénoménale.
Quelques heures plus tôt.
Nuage du Cerf et Nuage de la Salamandre. Deux apprentis au cœur sur la patte. Ils rayonnent et font la fierté de leur clan. Il faut dire qu’ils sont talentueux, loyaux, charmants, et qu’ils se décarcassent pour leur clan. Néanmoins, des petites tensions apparaissent entre les deux inséparables. Alors que Nuage du Cerf n’a pas abandonné l’idée de retrouvé son père et de venger sa mère, Nuage de la Salamandre, elle, à déjà tiré une croix sur cette pensée. C’est à partir de ça que la première – et dernière – dispute de Salamandre et son frère éclata.
« - Je n’en reviens pas que tu puisses baisser les bras…
- Deer, tu ne comprends donc pas ?
- C’est toi qui ne comprends pas ! Il a tué notre mère, il l’a tué ! Et toi, qu’est-ce que tu fais ? Tu souille son sang...
- …
- Non, Salamandre, excuse moi, je ne voulais pas, attends… ! »
Avez-vous des frères, ou bien des sœurs ? Dans ce cas, vous savez ô combien peut-on dire des choses terribles qu’on ne pense vraiment pas. Malheureusement, il a fallu que cette stupide boule de poil fasse remonter les souvenirs du temps où notre chère Salamandre se noyait dans la marre de sang de sa mère. Ahem. Reprenons.
Nuage de la Salamandre courre. Elle serpente entre les arbres de la forêt qu’elle connait très bien. Trop bien. Des images terribles passent en boucle dans sa tête, et elle pleure toutes les larmes qu’elle a pu retenir depuis tout ce temps. Elle retourne la terre de la clairière qu’elle s’est pourtant juré de ne plus jamais approcher, celle où sa mère a péri, et maudit son frère en silence martelant le sol de ses délicates et petites pattes.
Elle arrive bientôt à hauteur de la frontière, et rien de bon ne semble présager. Jamais la jeune femelle n’a franchit la limite entre ses terres et la ville. Une odeur fétide emplie les narines de la frêle apprentie et elle secoue la tête. Néanmoins, elle continue sa course infernale et traverse maintenant un chemin du tonnerre. Elle s’arrête brusquement, au milieu de la route, et regarde ses pattes. Le sol tremble. Un grondement sourd approche. Et à grande vitesse. Elle ose tourner la tête, et la frayeur la saisie. Un monstre gigantesque se précipite à toute allure vers elle. De l’épouvante se lit rapidement sur son visage, et avant qu’elle ne puisse faire quoi que ce soit, elle est percutée de plein fouet.
Le vide total.
Ce qui la frappe d’abord, c’est la beauté du ciel. Jamais rien vu de tel. Ces nuages nets, parfaits ces nuances d’indigo, de rose, d’orange flamboyant composent un tableau d’une pureté si éloquente qu’on dirait l’œuvre d’un vieux maître italien touché par la grâce.
Elle veut se relever. Impossible. Elle essaie de remuer une griffe, une oreille, sans plus de succès. Tout ce qu’elle est capable de faire, c’est cligner des yeux. Je suis morte. Voilà ce qu’elle pense d’abord. Bon, si la mort se résume à cela, il n’y a pas de quoi être effrayé. Elle est incapable de bouger mais elle respire.
Après plusieurs minutes d’efforts laborieux, elle parvient à tourner la tête. Elle est étendue… Sur la chaussée d'un sentier. Elle ferme les yeux, les rouvres. Non, elle ne rêve pas. A ses côtés se trouve une large route bétonnée.
Combien de temps reste-t-elle allongée ainsi ? La pluie se met à crépiter. Des gouttes tièdes explosent sur son visage, ça n’a rien de désagréable, et elle a le temps d’en distinguer certaines avec une précision inhabituelle, comme si elles se figeaient avant de s’écraser. Un arc-en-ciel de couleurs se diffracte en leur cœur. La pluie cesse comme elle a commencé. Elle sourit. Elle est incapable de réfléchir au passé, aux circonstances qui l’ont amené ici. Quel est cet « ici » ?
Une nouvelle fois, elle tente de remuer les pattes. Lorsque, enfin, sa patte antérieur droite se déplie, elle en est si soulagée que ses yeux s’embuent. Quelques minutes plus tard, elle parvient à s’asseoir. Étourdie, comme sortie d’un trop long voyage. Dans le ciel, le vieux maître italien continue à rêver en peignant.
La patte qu’elle porte à son museau tremble malgré elle. Ses forces lui reviennent et ses souvenirs avec. Sa mâchoire se contracte. La dispute ! Le monstre ! Tout resurgit dans un effrayant désordre.
Après bien des efforts, elle réussi à se lever.
De l’autre côté du chemin s’étend une forêt à perte de vue, majestueuse. Les herbes où elle se trouve lui caressent le ventre, elle a l’impression de fendre les vagues.
Un râle se fait entendre.
Elle fait volte-face. L’explication est là : un autre chat. Sanguinolent, presque démembré, sa respiration lente est coupée par des quintes de toux. Le chat n’est pas reconnaissable, et la seule odeur qu’il porte est celle du sang et de la peur. Étrangement, il lui rappelle son enfance.
D’instinct, elle s’approche du félin agonisant, la pitié serrant son cœur, et se couche contre lui, léchant ses plaies. Aucun chat ne mérite de mourir dans de telles souffrances. Le matou en question pose son regard empli de douleur sur elle et semble promptement apaisé. Il réussi à articuler quelques phrases entre deux douloureux râles.
- Salamandre… C’est moi, Nuage du Cerf. »
Regarde là. On peut voir dans le regard de Nuage de la Salamandre un ébranlement si puissant que tu le ressens toi aussi, jusque dans tes tripes. Elle se souvient, oui. Ce n’est pas le monstre qui l’a percuté, bien évidement, elle ne serait pas en aussi bon état autrement. Une larme coule sur sa joue, et tu sens la tristesse l’envahir. Une tristesse si profonde, si forte que tu ne peux pas y résister. Elle sent une légère douleur dans ses côtes, bien moins cruelle que la douleur qui poignarde son cœur, et elle se souvient. Elle se souvient avoir été projetée sur la chaussée si fortement que quand sa tête a heurtée le sol, elle s’est évanouie. Alors elle se hâte, elle presse les blessures pour arrêter le sang, et tente de se persuader. Tout ira bien. Mais toi tu sais. Oui. Tu le sais. Tu sais qu’il n’y a plus d’espoir. Que le corps de Nuage du Cerf est tellement labouré qu’il ne peut pas s’en sortir. Qu’il a déjà perdu bien trop de sang. Et tu vois Salamandre détruite. Tu la vois souffrir. Souffrir autant que Nuage du Cerf souffre pour luter. Elle plonge, lentement, dans le néant de la tristesse. Et les paroles de Nuage du Cerf la dévoreront encore plus.
« Arrête. Tu sais aussi bien que moi que c’est terminé… Je t’en supplie, arrête. Ne sois pas triste, Salamandre. Je vais rejoindre maman, à présent. Tu sais, je m’excuse. Je ne pensais pas ce que j’ai dit ce matin. Dis-moi que tu ne m’en veux pas… Dis le moi, j’ai besoin de l’entendre. »
Il fait une pose, le temps de cracher ses entrailles, pendant que Nuage de la Salamandre pleure en secouant négativement la tête.
« Salamandre, regarde-moi. Il faut que tu sois forte maintenant. Arrête de pleurer. Je ne te quitte pas, tu sais ? Je serais toujours près de toi, ne l’oublie surtout pas. Et s’il te plait, ne te jette plus sous les roues d’un de ses monstres. Parce qu’il faut que tu vives. Pour moi et pour maman. Il faut que tu vives la vie que nous n’avons pas pu avoir. Il le faut, d’accord… ? Une belle et longue vie. Je t’aime Nuage de la Salamandre, je t’aime tellement… »
L’ultime souvenir, le dernier soupir. Le cri cruel et amer de l’âme en perdition, estropiée, meurtrie et condamnée. Et Salamandre hurlait. Elle hurlait le nom de son frère défunt. Et tu savais ce qu'elle allait devenir... Plus Salamandre.
Non !
Reviens !
Ne pars pas…
Pas maintenant
Je t’en supplies
Reviens-moi…